Résumé — Droit et passion du droit sous la Ve République (1996) par Jean Carbonnier

Certains ouvrages m’ont marqué au point que je décide d’en faire un résumé pour en garder la trace. J’en publie sur ce blog quelques-uns afin que tout un chacun puisse en profiter. Si j’essaye de rester le plus neutre possible, la lecture de ces résumés ne remplace en rien la lecture de l’ouvrage original.

Voici le résumé de Droit et passion du droit sous la Ve République de Jean Carbonnier que j’ai écrit lorsque je préparais mon doctorat. Il s’agit pour moi d’un ouvrage majeur pour qui veut comprendre le droit d’aujourd’hui. Le doyen Carbonnier, à l’aube de sa très riche carrière, y formule une âpre critique du droit contemporain. Au moyen d’un survol magistral du paysage juridique et politique français, il opère le constat d’un droit malade ; malade de la passion dévorante qu’on lui porte. 25 ans après, cette critique n’a malheureusement pas pris une ride. Le style du doyen Carbonnier, si précis et agréable, n’a pas plus vieilli !

Carbonnier J., Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, 276 p.

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Introduction

I. – « Il a toujours été difficile de découper l’histoire en période », « souvent les périodes s’emboîtent les unes dans les autres ». « C’est vrai en général, mais davantage encore quand le droit est en cause. » (p. 7).

Les codifications « produisent un effet d’écrin » (p. 8). Elles marquent une période de par leur majesté. Le découpage proposé porte sur cette période : la Ve République. L’étude des changements du droit et les résistances à ce changement avaient besoin d’un cadre.

La période de la Ve « en tout cas close se prêtait, il est bien vrai à ce qu’on en fît un film et, quant à nous, de son droit une histoire. » (p. 9). Il ne faut pas nier sa particularité, même si Démocrite nous a dit que tout change, tout s’écroule, si Montesquieu et Durkeim nous ont enseigné que les lois changent « en corrélation plus ou moins lâche avec les mœurs ». « A l’entrée de l’époque considérée, un best-seller de la société anglo-saxonne donna le ton par le pouvoir suggestif de son titre, Law in a changing society » (Wolfgang Friedmann) (p. 10).

« Il n’est pas insolite que la Ve République ait fait du droit : l’insolite est qu’elle se soit faite elle-même droit, qu’elle en ait poussé la passion du droit jusqu’à s’identifier à lui. ». La sortie du concept d’Etat de droit du vocabulaire technique et son érection en dogme en est un syndrome.

La passion du droit peut avoir différentes formes : passion transcendante (Ihering, Sermon sur la Montagne), passion du métier pour les juristes, de s’imaginer législateur ou tout simplement d’observer le droit pour le plus grand nombre (procès, lois, etc.).

« L’amour du droit, comme l’autre, peut mettre la raison en déroute. » (p. 11).

Seule l’époque de Malby, Rousseau, Diderot peut être comparable à la Ve en termes de passion du droit, époque qui déboucha « avec la Révolution, en une apothéose de la Loi. » (p. 12). Mais les deux passions se séparent « dans leurs perspectives : celle des philosophes visait à unifier, codifier pour atteindre à un droit immuable, parce que fondé sur la nature et la raison ; celle de la Ve République s’accommode d’une diversité des sources, d’un droit complexe, hétéroclite, baroque même, qui change et a dans sa vocation de changer. »

II. – Un ouvrage découpé historiquement sur cette période n’aurait sans doute pas utilisé mai 68 comme césure, ce n’est que le point marquant d’un processus qui « s’était amorcé dans toutes les sociétés occidentales, déjà quelques années auparavant » (p. 13).

Il aurait été plus logique pour un régime présidentiel de découper cette période en quatre visages. La période de De Gaulle serait naturellement décrite comme consulaire, celle de Mitterrand comme socialiste avec toutes ses contradictions et la période de Pompidou et de Giscard comme Olympienne, teintée d’un libéralisme rencontrant quelques résistances. Pourtant, aucun d’eux ne marqua le droit de manière décisive ce qui incite à abandonner ce découpage.

III. – Un exposé historique ne se prête pas à un excès de spécialisation qu’il conviendra de compartimenter pour ne pas tomber dans le genre encyclopédique, nous nous contenterons d’une partie générale et d’une partie spéciale.

Partie I : Comment la passion du droit vient aux républiques

« Passion du droit, passion d’en changer, cela ne va pas sans mystère, car il n’est pas si naturel que la passion, sauf brefs épisodes, vainque la force tranquille du statu quo. » (p. 19).

L’année 1958 marque un tournant en ce qu’elle marque l’arrivée de la première promotion de l’ENA. Ceux qui y sont formés, destinés aux hautes fonctions de l’État, sont des « juristes purs », baignés de droit public, croyants en la loi (et surtout au décret…), férus de droit écrit et d’écrit, ils ne sentent, en amont, pas le poids de l’histoire, et en aval, pas les obstacles de l’ineffectivité (pp. 19–20).

Ils participent à la production de la loi dans ses modes de production (l’expression « sources du droit » ne parait plus adaptée).

« Le droit est fait pour être appliqué, et la passion du droit pousse d’ailleurs à ce qu’il le soit. » (p. 20). Ainsi, ce n’est pas que dans sa production que se manifeste sa passion, mais aussi dans son application (ex. juge d’instruction acharné, inspecteur zélé).

Chapitre 1 : La production du droit

Si la présidence de De Gaule peut être vu comme consulaire en ce qu’elle réforme, ré-agence profondément la justice, « rien de comparable au Code civil ». Sur ce terrain là, il faut revenir à la Libération et au projet de réforme du Code civil qui aboutiront de manière bien modeste par la faute aux faibles orientations données par De Gaule et la nécessité de concilier des opinions opposées.

« Disons d’un mot qu’après le Bicentenaire, ce droit fut plus que jamais réduit, dans la majorité présidentielle, à n’avoir été pullulement de libertés individuelles et de droits subjectifs, tandis que les institutions objectives qu’il avait fondées étaient superbement rejetées dans l’ombre. » (p. 25).

I. Le cadre constitutionnel

La constitution de 1958, votée à une large majorité « ne reconnait que les sources écrites du droit, la loi et le règlement, le droit qui est le produit d’une volonté. » (p. 27). « C’est une conception de droit public. Tout le droit n’est que textes impérieux. » (p. 28).

La distinction de la loi et du règlement

L’article 34 liste limitativement les domaines réservés à la loi, l’article 37 donne compétence au pouvoir règlementaire pour tout le reste. Ce pouvoir, bien que résiduel, est immense et peut toucher des domaines aussi importants que la procédure civile pourtant « fer de lance contre l’injustice » (p. 29).

L’invasion du droit bureaucratique

Depuis 1958, même « dans la préparation des lois, la prépondérance de la haute administration a été écrasante. » (p. 31).

Ce droit bureaucratique présente l’avantage d’être rédigé par des gens avertis. Leur indépendance est grande vis-à-vis des électeurs est réelle, ce qui n’est pas forcément le cas vis-à-vis des professions qu’ils côtoient. Chaque ministère agissant indépendamment, on comprend que ce droit manque de coordination et est source d’inflation législative.

Les textes symboliques

La constitution de 1958 s’approprie en bloc la DDHC (avec son propre préambule faisait référence à « l’Etre suprême »…) et le préambule de 1946. Ce dernier est porteur des « droits-créances » dont « le lyrisme des symboles, leur emphase même, contribuent à les répande dans la société (à commencer par l’école). Si leur flou congénital les empêche de fonctionner directement comme normes de droit positifs, il ne les prive pas d’une influence diffuse » (p. 33).

Le Conseil constitutionnel

Depuis qu’il peut être saisi par les députés pour vérifier la constitutionnalité d’une loi, il a lui aussi été agent d’inflation du droit en affirment des principes nouveaux ou des modes d’intervention inédits (par exemple, les réserves d’interprétation).

L’article 55 de la constitution

Les traités et accords internationaux ont pour cet article « une autorité supérieure à celle des lois ». Il ne s’agissait à l’origine que de la transposition du droit privé à l’échelle internationale.  Ce texte visait avant tout à rassurer les cocontractants de la France en leur assurant « qu’elle ne s’affranchirait pas de ses engagements en arguant de lois internes. » (p.35).

Les « traités fondateurs de l’Europe ont une nature très différente d’un traité de commerce : ils ont créé une personne morale, qui est elle-même créatrice de normes. Et l’on a pu se demander s’il était rationnel de transposer un article écrit pour résoudre les conflits entre les traités et la loi interne à ce qui est en réalité un conflit en la loi française et une loi étrangère, à tout le moins une loi non française. » (p. 35–36). La réponse affirmative de la Cour de cassation (1985) s’est en ce sens accompagnée de l’observation selon laquelle le Traité a institué « un ordre juridique propre, intégré à celui des États membres ».

L’étrangeté du phénomène s’accompagne d’excès quantitatifs, qui plus est, facteurs de complication

Par la même porte, entre le droit de CEDH et le mondialisme (ex. CIDE).

II. – Les transformations du principe de légalité

Si le principe de légalité « est commun à la plupart des systèmes juridiques de notre temps » (p. 38), il n’est né en droit positif qu’avec la Révolution. Pendant plus d’un siècle, il n’était politiquement « pas discuté que le pays vivait sous le règne de la loi. » (p. 39).

La loi tirant sa force obligation de ce qu’elle a été consentie par la volonté générale, ce qui est une fiction du Contrat social. Fiction sur fiction si on considère qu’elle émane souvent d’un décret. Ce mythe en perte de vitesse est peu à peu remplacé par un autre mythe : celui de la normativité.

« La norme puise [sa force obligatoire] en elle-même ou dans une autre norme sur laquelle elle s’appuie. » (p. 40).

Deux facteurs ont prédominé au glissement vers la normativité après la 2ed guerre mondiale :

·       Facteur philosophique : l’impact de la Théorie pure du droit de Kelsen et de sa fameuse pyramide.

·       Facteur pratique : le besoin au lendemain de la 2ed guerre mondiale de soumettre, même les lois, à un contrôle.

« Abstraire les normes juridiques de leur contenu, c’est détacher le droit de la société nourricière, c’est lui reconnaitre une sorte de valeur en soi. » (p. 41).

C’est par là que la notion d’État de droit est devenue omniprésente, remplaçant « la maxime que l’État doit se comporter en ‘grand honnête homme’. » (p. 42). Certains philosophes n’hésitent pas à renverser la perspective historique en affirment que le droit est premier, que le « droit s’est donné la personne-Etat pour instrument de communication et d’action », un « système autonome, indépendant de l’État comme de la société ; il fonctionne et se reproduit par ses propres force » (p. 43) (autopoïèse). Tourné vers la production de normes, ce système est naturellement inflationniste.

Cela conduit à une « inversion des préséances entre le droit et l’État » (p. 43). La législation « dictera sa politique », « sauf révolution, qui serait ici une révolte de l’État contre le droit ».

III. – Les droits venus d’ailleurs

Précisons qu’il est naturel que le droit étranger s’applique en France lorsqu’un élément d’extranéité l’exige.

Les droits qui ne se cachent pas d’être étrangers

Le droit international privé est ici convoqué, particulièrement dans le contexte d’une Algérie devenue indépendante. Le droit français dispose néanmoins d’un instrument de rejet par la notion d’ordre public.

Le droit de la nationalité a connu des changements opposés, le droit du sang ayant fini par être considéré comme « un repoussoir raciste. » (p. 46), de nombreuses personnes d’origine musulmane ont du intégrer un droit pour eux jusqu’à présent étranger. La charia se voulant « en même temps que religion, système de droit, voire manière de vivre » (p. 47), la voir « intériorisé ou non, on ne sait, par une fraction de la population française » engendre l’indécision entre « l’intégration et la reconnaissance d’un pluralisme des normes. ».

Les droits qui veulent s’intégrer

Ces « droits venus d’ailleurs sont [en réalité] des droits venus de nulle part, des droits qui n’ont ni histoire, ni territoire : ils ont surgi d’abstractions. » (p. 48).

a) Le droit communautaire

Depuis le traité de Rome de 1957, nous avons assisté à une renonciation rampante « à tout un système ancestral du droit » (p. 49). « La loi du 30 Ventôse an XII[1] […] avait plus de gueule ».

« Pour compléter cette république de nulle part » (p. 50) (c.-à‑d., Conseil détenant un pouvoir normatif qu’il délègue souvent à la Commission, le Parlement dilapidant son autorité « en des délibérations désordonnées »), il existe une cour suprême, la CJCE, dont l’interprétation s’impose à notre Cour de cassation.

La distinction entre Règlement (destinataires : individu(s)) et Directive (destinataires : États) semble grandement s’estomper tant ces dernières sont parfois détaillées.

Le droit communautaire a été grandement inflationniste ; d’une part, « la Commission a cédé à cette tentation de légiférer sans fin au lieu d’agir, qui est une faiblesse des pouvoirs modernes. » (p. 51), d’autre part, en surveillant et censurant le droit interne.

Les domaines du droit communautaire augmentent sans cesse par association d’idées : de l’économie à l’origine, on passe à l’agriculture, à l’environnement, etc.

b) Le droit conventionnel

I. – La conv. EDH vise à garantir les droits subjectifs de l’individu. La France a longtemps été réticente, notamment en raison de l’article 9 qui été vu comme un danger pour laïcité.

Aujourd’hui, « on dirait que les [Etats] éprouvent quelque gêne à opposer à l’idéologie exubérante des droits individuels les contraintes de l’intérêt collectif. » (p. 54). L’affaire B. c/ France l’illustre en ce que la France n’avait pas plaidé les exigences de l’ordre et de la morale.

« Conçu comme un ultime recours » (p. 55), le droit de la conv. EDH qui « devait être une sauvegarde, en réponse à un SOS, rien de plus. » est devenu un organe producteur de droit en s’appuyant, pour justifier de son interprétation évolutive, sur la formule de son préambule : « Sauvegarde et développement ». Ce droit « se forme jurisprudentiellement […] ce qui n’est pas sans évoquer la formation de la Common Law » ce qui la rend peu claire et peu cohérente. Le droit français se serait bien passé de ces deux tares.

II. – La CIDE signé en 1990 sous l’égide de l’ONU garantit les droits des enfants de 0 à 18 ans sans effectuer de distinction entre l’enfant et l’adolescent (qui n’accepte d’ailleurs pas d’être enfant). Elle garantit la liberté de pensée et d’expression aux enfants courant ainsi le risque de « prendre les parents à revers » (p. 56).

Ce qui limite la capacité d’action de la CIDE c’est qu’elle n’est pas adossée à une juridiction spécifique. « Ce sont des textes figés qu’elle a introduits dans notre droit. ».

IV. – La jurisprudence

« La jurisprudence est la solution qui est constamment donnée à une question de droit par les tribunaux, et notamment par les tribunaux suprêmes. » (p. 57).

« Il ne faut pas se voiler la face : tout développement de la jurisprudence se fait par érosion du principe de légalité. » (p. 58)

La jurisprudence comme parole

Si les arrêts de règlement ont été prohibés conformément à la séparation des pouvoirs, la possibilité donnée au Conseil d’État puis à la Cour de cassation de donner des avis semble les ressusciter même s’ils n’ont valeur que d’avis…

Les revirements de jurisprudence ne sont pourtant pas exceptionnels. Ils sont source d’une « insécurité plus brutale, car la solution nouvelle, issue du revirement, sera de plein droit applicable […] à des affaires qui s’étaient nouées dans la confiance à la solution ancienne. » (p. 59). Cette rétroactivité « la loi, en principe, se l’interdit » (p. 60). La non-publication de certains arrêts est « une clandestinité que la loi ne se permettrait pas. ».

L’informatisation implique l’usage réducteur de mots-clés et conduit « à nous demander si le flux de l’information n’étrangle pas la connaissance. » (p. 61).

La jurisprudence comme action

La dégradation de la loi a aidé la jurisprudence qui a su conquérir sa « parité ». La jurisprudence concentre l’essentielle de l’intelligence juridique et l’essentielle de l’attention de praticien. Il n’est pourtant pas sur que plus de jurisprudence implique plus de justice.

« Ce que l’on entend aujourd’hui par jurisprudence, c’est une solution inédite » (p. 62). Cette jurisprudence « ruine les parties qui s’étaient fiées à la lecture la plus littérale, la plus naïve de la loi. Malheur aux naïfs ! ».

V. – Le conseil d’État

Le président est garant de l’autorité judiciaire et donc de la Cour de cassation. Le Conseil d’État se place à part, au dessus de la Cour de cassation ; c’est qu’il « fait corps avec l’État lui-même. » (p. 62).

Conseiller…

Le Conseil d’État est « parisien d’esprit et communique cet esprit à l’État et à la législation. » (p. 63) Il est constitué de conseillers que l’on peut qualifier d’auliques (conseillers du Prince) car ils sont proches du pouvoir.

…et juge

Structurellement, « la juridiction administrative peut éprouver quelques difficultés psychologiques à préserver son indépendance : elle se recrute sur une structure de droit public, où l’intérêt public est constamment valorisé » (p. 64).  René Capitant pensa à l’été 1968 à tout ramener au judiciaire avant de tomber, en tant que ministre de la Justice, peu après.

L’inflation du contentieux a occulté le débat, il était avant tout question dorénavant de décharger le Conseil d’État par des transferts de compétence au TI et la création des CAA. Le Conseil fonctionnant comme un organe de cassation « tout en conservant dans sa compétence directe les recours pour excès de pouvoir dirigés contre les décrets, c’est-à-dire la partie noble de contrôle de légalité. »

Les raisons de cette inflation du contentieux tienne à la fois à la conscience chatouille des actions ouvertes par l’État de droit, à l’interventionnisme économique qui n’a jamais cessé sous couvert de libéralisme et à la déconcentration multipliant les lieux de pouvoir. On peut aussi évoquer l’inflation des lois (elle-même dénoncée tardivement par le Conseil) que les conseillers, « rompus au contrôle de légalité » (p. 65), allergiques au « droit non écrit, aux coutumes, au non-droit », n’ont su endiguer.

VI. – La classe juridique

Même si les sociologues ne l’identifient pas clairement, il existe une classe juridique qui « a dû se faire une raison : même dans ses strates supérieures, elle n’accède guère à ce cercle lumineux d’élite étroite où se distribuent honnêtement les avantages du pouvoir. » (p. 66).

L’unité de la classe juridique

Il faut faire entrer dans la classe juridique, non seulement les juristes, mais tous ceux qui ont « par leur profession, leur fonction, un certain rapport au droit » (p. 67). Le vocabulaire, la familiarité envers certains concepts élémentaires, la fréquence des liens de parenté (…) sont autant d’éléments caractérisant la classe des juristes.

En termes de classe, on peut parler d’un retour d’une révolte des profanes contre l’ésotérisme de la classe juridique.

Le nombre de membres augmente en parallèle du volume de droit. Mai 68 et l’augmentation du nombre d’étudiants (en droit pour ce qui nous intéresse) n’y est pas pour rien. « A la pression du nombre, la réaction n’a pas été uniforme » (p. 69) : d’un coté on trouve les professions soumises à un numerus clausus, de l’autre les catégories librement accessibles qui « se sont efforcées d’interposer entre la sortie de l’Université et l’entée dans la vie active, des années de formation professionnelle et de nouveau des examens. L’exemple des avocats est typique à cet égard. »

S’il y a corporatisme, c’est un corporatisme tourné vers l’extérieur, « la corporation repousse la surabondance des postulants, et constitué en groupe de pression, elle véhicule auprès des pouvoirs publics la réclamation des professionnels en place. ». A l’intérieur, la pression de la corporation est faible.

« La présomption est que, par sa seule présence, elle infléchit le droit » (p. 70).

La classe des docteurs

« Docteurs, ceux qui enseignent ». « Ils forment des générations de futurs juristes qui agiront plus tard sur le droit. ». Ils sont à l’origine de la doctrine, c’est-à-dire de « l’opinion qui, sur un point de droit, se dégage comme prépondérante parmi les docteurs (s’il peut s’en dégager une, car ils sont très individualistes). Toute opinion tend à devenir du droit, surtout si elle réussit à séduire des juges. »

Le corps enseignant a été multiplié par 10 ou 20 pour « un accroissement comparable des auditoires enseignés et du droit enseignable. » (p. 71). « La réaction instinctive a été la spécialisation » de plus en plus précise. « Comme en médecine les spécialistes donnent le ton », même si la spécialisation a des inconvénients pédagogiques évidents.

Pour la défense des docteurs, « la spécialisation s’opère toute seule, par le cloisonnement des bureaux ministériels où sont conçus les projets de loi. », elle est factrice d’approfondissement des questions. Mais elle va à l’encontre de l’indispensable hauteur que demande l’analyse du droit.

Les contraintes de formes restent importantes dans la production et « l’empirisme des Anglo-saxon, qui tolère un certain désordre n’a guère déteint sur nous. » (p. 73).

« De l’effort doctrinal, qui est considérable », ne transpire rien ou presque « hors du microcosme professionnel ». Réciproquement, les grands médias, s’ils font une part au droit, ce n’est pas en tant que science.

L’apparition d’éditeurs juridique sur le modèle de l’entreprise et l’informatisation ont provoqué des bouleversements souterrains.

« De la modernité peut sortir un droit moins méditatif. ».

Chapitre 2 : L’application du droit

Les acteurs de l’application du droit sont en quelque sorte coauteurs du droit, car « le droit serait souvent vain s’il n’était pas appliqué. » (p. 75).

Les acteurs de l’application sont divers et nombreux. Il faut évoquer le cas des décrets d’application qui démontre que l’application et la production peuvent se rencontrer.

I. – Les magistrats

L’ENM

Crée en 1958, elle présente certaines similitudes avec l’ENA, « certains induisent un recul corrélatif de la tradition judiciaire d’indépendance à l’égard de l’exécutif. » (p. 77). « Craintes excessives néanmoins. ».

L’organisation des juridictions

« La spécialisation se fera par la pratique, au hasard des carrières » (p. 78). C’est sous l’empire de la nécessité que le juge unique a été mis en avant (même si le principe est resté celui de la collégialité). Les réformes des années 90 furent marquées par la volonté d’une justice de proximité et par l’envie de justices alternatives.

Syndicalisation et féminisation

Ces « deux phénomènes extérieurs aux textes de l’organisation judiciaire […] ont le plus contribué à changer l’esprit de la magistrature » (p. 81).

La syndication s’est faite de manière politique, ce qui peut être en contradiction avec l’exigence d’impartialité. Pourtant, « rien n’autorise à soutenir que la syndicalisation s’est reflétée dans les jugements, encore moins dans la jurisprudence. » (p. 82).

La féminisation de la magistrature peut lasser soupçonner qu’elle n’intéresse moins les hommes et qu’elle a perdu de son prestige. « Comment la passion du droit vient aux filles ? » (p. 83) se demandait-on avant de répondre : « Par le rêve d’être un jour juge des enfants. », ce qui n’est pas entièrement faux.

Les tropismes supposés des femmes, plus sensibles aux droits subjectifs, et des hommes plus prompts à faire respecter le droit objectifs nécessitent des études plus poussées pour être analysées.

II. – Les avocats

« En 1990, les avocats ont absorbé les conseils juridiques. » (p. 85). Simultanément, les avocats ont obtenu le droit d’exercer en groupe ou en tant qu’avocat salarié ou collaborateur.

Les deux types d’avocats

On peut différencier, les avocats classiques qui ont surtout pour client des particuliers et les avocats d’affaires qui exercent en société. Une unité symbolique est préservée par les organes de la profession.

Leur participation au droit

Les cabinets d’affaire, s’ils suivent de près les évolutions du droit, ne « se préoccupent guère de les infléchir » (p. 87). Tout juste contribuent-ils à l’importation de certaines institutions étrangères (ex. fiducie ou trust). L’avocat classique ne plaide (sauf exception) pas en droit, ils plaident en faits et au pénal en équité.

La paternité des créations jurisprudentielles ne revient pas seulement aux magistrats, en réalité « l’œuvre est commune » (p. 89) avec les avocats.

III. – D’autres acteurs de l’application

L’huissier

Tel le gendarme, « l’État lui a délégué une part de la force dont il a le monopole. » (p. 89). Les huissiers « ont l’air solidaires » (p. 90) des créanciers qui ont mauvaise presse actuellement. L’État leur laisse « le rôle du méchant » (p. 91).

L’expert

Le juge ne peut pas tout savoir. Il tient ferme les extrinseca (choix de l’expert), mais concernant les intrinseca, il fait souvent confiance à l’avis technique. Ce mouvement a donné lieu à une ébauche de résistance…

Le notaire

Il existe un certain parallélisme des pouvoirs du juge et du notaire, car ses actes sont revêtus de la force probante de l’acte authentique et surtout de la force exécutoire. Il a reçu pour ça une investiture étatique.

IV. – Le droit en communication

A l’appui du maelström de communication, une croyance teintée d’optimisme tendant à croire que les tensions entre les hommes s’apaisent par la communication entre eux.

L’accès au droit

Malgré une « présomption de science infuse » (« nul n’est censé ignorer la loi ») (p. 95), le langage juridique nécessite souvent de traductions. Le manque de communication est renforcé par « l’inflation et la complexification des règles de droit », ce qui rend souvent indispensable le recours à des hommes de droit. Divers dispositifs ont été créés pour vaincre cet éloignement, des aides fournis souvent par des travailleurs sociaux.

« Quelle leçon ? Notre système juridique produit une quantité de droit à la limite de l’intolérable, et pour la ramener à un niveau tolérable, il est obligé de recruter une armée intermédiaire. » (p. 96). Rassuré par ces intermédiaires, le législateur « ne s’effraiera plus de produire à jet continu un droit si amer ».

Dans une procédure individualiste, les actions de groupe sont évoquées comme un palliatif à la difficile défense des droits individuels.

Les médias

« Le droit peut se glisser dans les médias par plus d’un créneau » (p. 98) : informations générales, chronique judiciaire, compte rendu de débats législatifs ou « faits divers (en attente du droit pénal) ».

Une étape est franchie lorsque les destinataires des médias « sont invités à réagir en juges ». « La passion du droit se déchaine en se vulgarisant. », c’est un « procès hors les murs » qu’on instruit, « hors les murailles que sont les garanties procédurales du droit ».

L’image du droit véhiculée par les médias laisse souvent les juristes insatisfaits. Cette image est partielleprivilège acquis de longue date au droit pénal » (p. 99), passion pour « le sang et le sexe ») et teintée de parti pris. Les journalistes sont encore moins à l’abri que les juristes de faire des erreurs de droit.

Les médias ont une « préférence insatiable pour tout ce qui est nouveau, jeune et libre » (p. 100). « Si quelque chose va mal dans la société, c’est que le droit est inadapté, ou qu’il existe des « vides juridiques » (formule devenue rituelle). »

« L’incessante mobilité des images […] a créé une civilisation de l’éphémèrerien ne garde fonction de repère, même le droit. La passion du droit que les médias diffuse est, avant tout, la passion d’en changer. » (p. 100–101)

V. – La réception du droit dans la société

La connaissance

La connaissance du droit est présumée par la maxime « nul n’est censé ignorer la loi ». Règle fausse, mais nécessaire pour que les malins ne prennent pas « le masque de l’ignorance. » (p. 101). Cette règle peut avoir des résultats d’autant plus injustes dans un contexte « d’inflation » et d’« effervescence » du droit. L’État s’impose en contrepoint un devoir de transparence. « Là où l’on disait « chacun est censé connaitre la loi », nous disons maintenant « chacun est censé avoir eu les moyens de s’en informer ». Façon pour le législateur prodige de s’accorder bonne conscience. » (p. 102).

L’adhésion

La réception la plus intime de droit est l’adhésion. On peut l’observer au moyen d’enquêtes (forcément rudimentaire) ou à l’aune des comportements (cependant, la loi étant un instrument de contrainte, s’y conformer ne prouve pas qu’on y adhère).

Pourtant, certaines lois soulèvent réellement l’enthousiasme (ex. les lois d’amnistie).

La participation

« On pourrait soutenir que les sujets, individus ou groupes, visés par le texte de droit le recréent ou le créent par la manière dont ils participent à son application ou son inapplication. Le droit est le sujet forme un couple » (p. 103).

« Toute règle de droit est vouée à osciller entre l’application et l’inapplication. » ou effectivité et ineffectivité pour les sociologues. Il existe différentes formes d’ineffectivité, ainsi que des formes intermédiaires (ex. : décalage de l’incidence d’une taxe sur le consommateur).

Plus grave, le cas des institutions que les sujets de droit refaçonnent à leur guise, « pathologie de la réception » (p. 104) (ex. le divorce accepté qui devient un « divorce-faillite à rythme accéléré »).

L’entrée dans les mœurs

« La réception approchera de la perfection lorsque l’application de la règle sera devenue un comportement sinon mécanique, du moins usuel. Et la passion peu à peu s’éteindra. »

« La loi s’est transformée en coutume et c’est sa réussite. ». Une coutume se caractérise par l’oubli de ses origines, mais par « la conscience que cela se fait ».

Le droit contemporain nous offre des exemples de cette réception idéale (ex. : « la femme mariée qui signe un chèque ne se réfère pas à la loi de 1965 » (p. 105)).

Chapitre 3 : Les dérèglements du droit

Un système juridique idéal se caractérise par :

1.      La limitation du nombre de règles au « besoin réel de droit dans la société » (p. 106).

2.      Une position claire vis-à-vis des autres systèmes normatifs, particulièrement la morale en ce qu’elle est « soupçonnée d’introduire dans le droit des dérives passionnelles ».

3.      « Une résistance du droit objectif à se laisser pulvériser en droits subjectifs » multiplication des passions »).

I. – L’infraction du droit

« Le droit étant par nature une contrainte, il est naturel que l’individu, lorsqu’il sent le droit autour de lui, ait le sentiment d’être serré, d’étouffer. » (p. 107).

La mesure de l’inflation

« L’inflation des lois est l’élément qui est senti comme le plus pesant », mais il faut aussi compter avec les « décrets, arrêtés, voire règlements et directives de Bruxelles », sans oublier la jurisprudence et la multiplication des sources. De tout cela, il n’est pas sûr qu’il en ressorte plus de justice.

Compter les lois promulguées chaque année ne permet que d’évaluer le flux et non le stock. « On a ainsi avancé l’hypothèse de 100 000 lois théoriquement toujours vivantes. » (p. 108).

La véritable unité de compte devrait être le compte des normes, et même l’intensité normative. Tout en tenant compte de la vitesse à laquelle se succèdent les lois.

C’est « une méfiance congénitale envers le public [qui] incline les bureaux à tout prévoir » (p. 109). C’est une méthode source d’inflation. Pire, cela influe sur « la nature de la loi : ce n’est plus la proclamation d’une règle générale et permanente, c’est un procédé de gouvernement ou de gestion, une sorte de note de service à réitérer et à réadapter sans répit. » (p. 110)

« Ce sont les faux besoins qui ont une action inflationniste. ». « Le débat est inévitablement politique. Les libéraux et les interventionnistes ne sauraient envisager l’inflation des lois dans le même esprit. ».

Les effets de l’inflation

« Le plus immédiat est l’ignorance » de la loi. Toutefois, les lois catégorielles limitent l’ignorance en « divisant la société. » (p. 111).

En dehors du Code Pénal se trouverait plus de 4000 incriminations. « L’innocent a de quoi est angoissé comme devant une forêt mystérieuse. ».

« La dévalorisation de la loi débouche sur deux attitudes contradictoires » : la « désobéissance généralisée » et le recours toujours plus systématique au législateur en espérant que par chance, la loi qu’on demande sera observée.

Les remèdes à l’inflation

Nous avons déjà évoqué les placébos que sont les efforts de communication. Il existe aussi des palliatifs dont « l’un des plus remarquables se trouve dans la technique du rappel » (obligation de citer le texte lors d’une correspondance entre partie dont l’une ou l’autre peut se prévaloir) (p. 112). [T] « La connaissance-flash se substitue à la connaissance générale et permanente que suppose la maxime « Nul n’est censé ignorer la loi » ».

Au registre des mesures plus radicales, la réduction du stock de lois s’apparente au nettoyage « des écuries d’Augias en l’absence d’Hercule. ».

L’évaluation, les études d’impact peuvent aussi être considérées, mais gare « à la difficulté de maitriser la passion du droit : pour prévenir de l’excès de normes, d’autres normes encore. » (p. 113).

« Et finalement, si la solution raisonnable était en chacun de nous : dans une plus grande sobriété à user du droit ? » (p. 114).

II. – Le droit en quête de morale

L’évolution des rapports du droit et de la morale

« La morale et la religion ont souvent fait alliance et elles se compénètrent facilement. » (p. 115).

Au XIXe et au début du XXe siècle, on enseignait que « la morale est autonome, n’a de sanction autre que dans la voix de la conscience ; que le droit est hétéronome, il recevra sa force de l’État via l’action en justice. »

La morale peut être pour le droit « comme de l’huile dans les rouages (rouages du droit de la famille, notamment). » Pour Ripert, « le droit des obligations et des contrats [a été] jurisprudentiellement « vivifié par une montée continue de la sève morale ». »

Plus directement, la notion de bonnes mœurs (la « morale coutumière » sur le plan sexuel) a pénétré le droit.

La morale est quelque chose de changeant « le droit se ressent de ces oscillations de la morale : si la passion du droit est exacerbée par l’esprit de croisade, elle s’essouffle quand l’indifférence se répand. » (p. 116)

La Ve a bouleversé les rapports du droit et de la morale sur deux plans :

1.      Au premier plan, la libéralisation des mœurs peut avoir un autre fondement que celui d’un changement d’appréciation dans la société, celui qui serait inspiré par « la philosophie anglo-saxonne, qui considère que si le droit doit être découplé des normes de la vie sexuelle, c’est par respect pour la liberté et la sphère d’intimité des individus. » (p. 117).

La liberté d’expression a permis de diffuser dans les médias une « morale très permissive, capable de corroder les institutions du droit. » (p. 118). Ainsi, « la morale a beaucoup changé à notre époque. ». « Elle ne commande plus, elle propose des arguments pour ou contre ». « Cette morale de la discussion – dont le grand homme est le philosophe allemand Jürgen Habermas – s’est propagée en France ». Or, « la morale est encore moins sûre que le droit. ».

2.      Au second plan, la Ve en a appelé « à elle d’autres morales. ».

Les morales d’Etat

« Le geste augural a été l’institution par décret, en 1983 du Comité consultatif d’éthique ». L’étique plutôt que la morale, car « il fallait faire comprendre que la porte demeurait bien fermée aux bonnes mœurs de jadis ». L’innovation était réduite par son caractère consultatif et par sa spécialité. Toutefois, c’est les principes de dignité humaine et de primat de la personne qui intéresse le comité. Principes gravés dans le Code civil (art. 16 à 16–5) et les lois biotiques. « Ainsi l’éthique est devenue droit. Une morale d’État. » (p. 119). « Morale d’État encore », la déclaration de 89 et la Conv. EDH.

Ce « culte consensuel » « a pris un tour presque fanatique à l’approche du bicentenaire [du Code civil] ».

« La morale des Droits de l’homme aurait pu demeurer morale pure, ne relevant que de la conscience individuelle. L’État en se l’appropriant, en a fait sortir du droit. Il frappe comme délits pénaux une série de pratiques discriminatoires classées « atteintes à la dignité de la personne » dans le Nouveau Code pénal. » (p. 120).

Est ici créé implicitement une « obligation juridique de non discrimination ». « Tandis qu’auparavant, ma fraternité, ne venant que du cœur, pouvait être effusive et sans limites, enserrée maintenant dans la légalité, elle va devenir sourcilleuse, peut-être chicanière. C’est la rançon du passage au droit. ».

Il s’agit là d’une « religion d’État » avec un « certain penchant pour l’intolérance. ». Pourtant, les Français ne reconnaissent pas aisément la déclaration de 89 dans « les textes pénaux qui en seraient la traduction. ».

III. – La pulvérisation du droit en droits subjectifs

« Le droit objectif est fait de règle » (p. 121). « Les droits subjectifs sont les prérogatives que le droit objectif reconnait aux individus ».

Le modèle classique dit qu’« au commencement est le droit objectif ; de lui découlent ensuite les droits subjectifs ». « Dans une perspective opposée, on part des droits subjectifs ; le droit objectif se reconstruira ensuite comme un réseau de droits subjectifs. »

Notre droit a tendance à se subjectiviser sous l’influence de la psychologieau détriment de la sociologie ») et de « l’exaltation permanente des droits de l’homme ».

La montée des droits subjectifs

Pour Auguste Comte, l’homme n’a d’autre droit que d’accomplir toujours son devoir. Léon Duguit alla même jusqu’à nier l’existence de droits subjectifs.

Les droits subjectifs ont explosé après la seconde Guerre Mondiale, en réaction au « régime nazi [qui] les avait tellement opprimés » (p. 122).

La Ve fit une large part aux droits de l’homme, mais « l’effet individualiste n’apparut pas immédiatement. ». Les disciples de Duguit présentant volontiers « les droits individuels comme doublés d’une fonction sociale qui en neutraliserait l’égoïsme. ».

C’est sous le double septennat que l’on a vu les droits subjectifs « se développer avec toute la fougue dont ils sont capables. » (p. 123). Le fond ne change pas réellement, « c’est la manière d’aborder les questions qui change, qui est inversée, subjectivisée. ». « Là où la loi disait jadis meurtre, assassinat, parricide…, elle dit aujourd’hui atteinte volontaire à la vie de la personne. » (p. 124). « On a supposé un droit à la vie […] et de là, on a fait un crime de la lésion de ce droit subjectif ». Une telle représentation abstraite n’est pourtant pas naturelle.

Les effets du phénomène

« Il n’est pas question de nier la réalité des droits subjectifs », ni de renoncer à « ce minimum de raison d’État auquel l’État le moins autoritaire ne saurait renoncer sans disparaitre ». « Quant à fixer le point, c’est affaire aux idéologies. »

·       « Le pullulement des droits subjectifs est un facteur d’inflation du droit », soumis à une « infinité de passions individuelles, ego contre ego. ».

·       « Les droits subjectifs fragilisent le droit objectif. »           

Beaucoup de droits économiques et sociaux de la seconde génération sont de faux droits, en ce qu’un débiteur n’est pas obligé d’y satisfaire.

·       « Les doits subjectifs vident le droit objectif de son contenu, mais ils ne le remplacent pas. C’est qu’ils n’ont pas la force immédiate des règles de droit, mais seulement un accès à cette force. » (p. 125). En effet, les droits subjectifs sont susceptibles d’abus, et donc, « vulnérable[s] à la contestation. ». Ex. : « mon devoir objectif de fidélité a été ramené à n’être plus que le revers du droit subjectif de l’autre à ma fidélité. »

Partie II : Quand la passion se marie au droit

« Il fallait vérifier si, dans une série de compartiments du droit, quelque chose se trouvait du phénomène général. » (p. 129). Le droit de la famille est « chargé d’équilibrer à lui seul tout le reste du droit », ce qui justifie de lui faire une place à part. Pourtant, « selon une théorie qui est imputée à Marx, bien qu’elle soit déjà imputable à Montesquieu, le droit ne se définit que par sa fonction, qui est délimiter le tien et le mien, le droit de la famille n’entrerait vraiment dans le droit que lorsqu’il s’intéresse aux héritages et aux partages. »

Chapitre 1 : Des droits parmi d’autres

Avant d’évoquer plus précisément les cinq droits – hors famille — choisis pour illustrer ce chapitre évoquons rapidement :

·       Le code de la route (qui existait « même du temps des voitures à chevaux » (p. 133)). « En l’espèce la loi dispose d’un statut particulier, alors qu’en général la connaissance est présumée, elle est ici exigée et même être attestée par un examen qui conditionne le permis de conduire » (p. 134). Le permis à points a pulvérisé « le principe objectif en une série de points d’innocence […] qui serait confisqués au fur et à mesure des punitions ». Il y a là une forme d’infantilisation.

·       « Le CGI a été l’exemple, éclatant et secret à la fois, d’un de ces phénomènes d’autopoïse juridique déjà signalée : les normes produisent des normes, et les normes deviennent État –État dans l’État et finalement État tout entier. Tel est Bercy dans la cité : une citadelle autoproductive de normes, qui tient l’État. » (p 135).

I. – Le droit pénal

Le droit pénal est « changeant plus que d’autres : le théâtre appelle les coups de théâtre ». « On attend de lui la sécurité, mais il se nourrit de l’insécurité ».

Les courants de pensée

Le Nouveau Code Pénal de 1994 « a plutôt l’allure d’un document de travail que d’un monument conçu pour l’éternité. Comment prendre tout à fait au sérieux un code qui commence à l’article 111–1, sur un énoncé platement technique : « les infractions pénales sont classées selon leur gravité, en crimes, délits et contraventions. » »[2] (p. 136–137).

« À partir de la Libération s’est affirmée peu à peu en France une École de la Défense sociale nouvelle dont le chef incontesté était Marc Ancel ». « La défense de la société est la justification objective du droit de punir » (à rapprocher de l’École positive italienne, dont elle se sépare « par un attachement au principe de légalité des délits et des peines »). « C’est au fond une doctrine optimiste, qui croit en la réinsertion, en la resocialisation toujours possible des délinquants ». Elle a très tôt était « classée laxiste » (p. 138).

Au contraire, les théories criminologiques issues des États-Unis sont très pessimistes. Ces théories ne se concentrent pas sur le criminel, mais sur « la réaction de la société, celle-ci va stigmatiser le criminel, le labéliser, l’étiqueter, et ce faisant l’enfermer dans sa carrière criminelle. » Le crime et la peine apparaissent comme un « couple inexorablement lié, comme une fatalité sans issue. ». Ces théories peuvent être tournées vers une lecture faite d’action et de progrès dans une vision voisine de la lutte des classes : « l’Etat doit se battre contre toutes les injustices » (p. 139).

« Ainsi, refluant de sources différentes, s’est formé l’éclectisme qui semble avoir dominé toute la période. » (p. 139).

Châtiment et crimes

« L’époque [est en contraste] : elle a aboli le châtiment suprême et elle a fait pulluler des pénitences enfantines. »

La peine de mort n’a pas été abolie sur les arguments de Beccaria ou de Victor Hugo, mais en considération « des bourreaux que nous ne voulions pas devenir. »

Pour des sociologues comme Jhering ou Durkein, « le progrès aurait atteint son terme lorsque subsisteraient seulement l’amende et l’emprisonnement, les deux peines mathématiquement graduables, par là même abstraites, grises, dépassionnées. » (p. 140).

« Nous en sommes loin avec le Code de 1994. Il y aurait même plutôt régression vers la bigarrure et le baroque de l’Ancien Droit. Sans l’horreurs des supplices, il est vrai, nous en serions incapables ». Il comporte des « énumérations à la Prévert des peines complémentaires ou de modalités de mise à l’épreuve », il ne réprouve pas les pénalités archaïques qu’affectionnent « les mères de famille : le garnement sera puni par là où il a péché, privé d’auto de chéquier, de chasse, de bistrots, etc. Michel Foucault a montré combien l’infantilisation concourt à la punition. La tonalité chez lui était tragique. Elle est dans le Nouveau Code Pénal innocemment tutélaire. » (p. 140–141).

Il prétend punir les personnes morales, mais « quelles peines infliger à des fantômes ? Une amande quintuplée, la dissolution surtout, qui sera la seule peine de mort de notre droit ». « La vraie peine, a‑t-on écrit, frappe aux jambes : les personnes morales n’en ont pas. »

Certains crimes sont imprescriptibles, ce qui conjugué avec la responsabilité des personnes morales peut aboutir à de drôles de possibilités : celle de mettre en examen l’Ordre de Dominicains pour le génocide des Cathares !

La politique ayant inspiré le NCP tient en « moins de sévérité pour la délinquance misérable et la délinquance des mœurs, plus de sévérité contre la délinquance en col blanc. » (p. 142). « Les passions humaines – la pitié ou l’envie – collectivisées peuvent nourrir la passion du droit. ».

Plus ou moins de droit pénal

« Il y a toujours eu une folle de dispositions pénales non codifiées. Et même, il est vraisemblable qu’il y en a beaucoup plus aujourd’hui » (p. 143).

La loi dirigiste ne peut pas se fier à la volonté des parties, ni aux sanctions civiles (nullité, etc.), « la menace d’une punition opérera plus vite. » (p. 144).

« Il doit y avoir plus de droit pénal qu’en 1958 au bout du compte. Aux vieilles lunes est renvoyée la conviction de la philosophie du XIXe siècle que l’histoire de la peine est celle de son abolition continue. »

L’inflation du droit pénal aggrave le phénomène général, car le propre du droit pénal est « de vouloir être douloureux. ». « C’est de ce nuage noir d’où la foudre peut sortir inopinément qui fait planer l’angoisse. »

« La résistance est dans l’ineffectivité. ». Lombroso « pensait avoir découvert une loi scientifique de saturation criminelle : […] au-delà d’une certaine dose, la criminalité se serait arrêtée d’elle-même. ». On peut aussi penser « avec plus de probabilité », « qu’il est des seuils au-delà desquels la répression ne peut plus fonctionner. ».

Il est l’ineffectivité ordinaire, celle du délinquant. Plus intéressant l’ineffectivité « qui procède de la machinerie du droit pénal, de ses frottements, de ses impuissances, faute d’hommes, faute de temps. Plus remarquables encore, les ineffectivités que le droit pénal lui-même – le législateur mais aussi la pratique – organise délibérément pour prévenir un trop plein de répression » (politique de classement sans suite, indulgence de la police, amnisties…) (p. 145).

« La solution sage » consisterait à fixer « de brèves prescriptions extinctives aux poursuites au pénal. Loin de là, nous avons des crimes imprescriptibles » (p. 146). « C’est l’État de droit, mais qui triche avec la nature de la mémoire, qui est l’oubli. ».

Les victimologies

« C’est, en revanche avec réalisme que la Ve République s’est intéressée aux victimes d’infractions. ».

La méfiance connue ailleurs pour la victime (vaguement soupçonnée « de complicité inconsciente ») est étrangère à l’esprit des lois d’indemnisations (3 janv. 1977, 8 juil. 1983, 6 juil. 1990) qui est de « substituer l’Etat à des délinquants introuvables ou insolvables. », d’abord pour les actes de terrorisme, puis pour les atteintes graves à la personne, et même parfois pour les atteintes aux biens.

 Les fondements des cette obligation de l’État peuvent être recherché dans la notion de solidarité, dans les droits de l’homme ce que depuis le 22 oct. 1982, le Conseil constitutionnel considère le droit à réparation comme en faisant parti ou dans un manquement « avéré à l’obligation de sécurité, de sureté » de l’Etat (p. 147).

Sur un autre plan, les victimes se trouvent mobilisées « en agents martiaux de la répression. ». La constitution de partie civile est en le mécanisme classique. Si cette constitution émane d’une personne morale, elle se met « au service d’un intérêt collectif » (p. 148). Si sur le plan des mœurs, les associations ne sont pas très actives, ce n’est pas le cas concernant « la morale de la non-discrimination ». La loi, si elle n’a pas attribué une compétence générale aux associations comme au syndicat en matière professionnelle, n’hésite pas à habiliter à la poursuite au pénal des associations  fondées spécialement pour combattre la discrimination. « On ne peut être que réservé sur l’appui à en attendre pour le droit pénal » (p. 149) tant les associations sont souvent gérées peu rigoureusement et doté d’une image inconsistante. Il est vain d’espérer plus d’indépendance des associations que du ministère public car elles « ne sont agréées que parce qu’elles ont la confiance du gouvernement et savent la garder. » Les animateurs de ces associations sont de plus nourris d’une passion brûlante qui, pour être légitime, n’en est pas moins dangereuse.

II. – La responsabilité civile

Au XXe, les dommages se sont multipliés et « les victimes sont devenues de plus en plus exigeantes. » (p. 150).

« Jadis la résignation était perçue comme une attitude banale et raisonnable. » Royer-Collar ajoutait que « si l’on ne savait se résigner, on mourrait de colère. On ne meurt plus de colère, parce que la colère est devenue droit – traque passionnée du responsable. ».

La faute et le risque

Le Conseil constitutionnel en 1982 s’est placé du coté de la victime en donnant valeur constitutionnelle au droit à réparation, chose qu’il n’a pas faite en 1994 pour le principe de responsabilité personnelle posé par le Code civil.

La faute n’exige « pas nécessairement une intention tournée vers le mal » (négligence, imprudence) (p. 152).

« Res ipsa loquitur, les faits parlent d’eux même ; cette formule latine recouvre une règle de Common law, une maxime de sagesse anglo-saxonne, qui a valeur universelle : il est des cas où le juge perdrait son temps à trop décortiquer la charge de la preuve ».

A l’origine, la faute supposait la volonté, or la responsabilité des « majeurs protégés » a été affirmée par la loi du 3 janv. 1968 et celle de l’infans par la Cour de cassation en 1984.

« Après la faute qu’il fallait prouver, la faute qui est présumée, supposée parce que vraisemblable. » (p. 153). On peut évoquer la responsabilité des père et mère, mais surtout la responsabilité patronale, responsabilité objective fondée sur le risque (« suivant le principe d’équité que celui qui a les profits de l’activité d’autrui doit en supporter les risques »).

La faute est étrangère à la responsabilité du gardien, responsable de plein droit, « en sa seule qualité » (p. 154).

L’entrée en loi de la voiture

Après l’arrêt Jand’heur, et à partir des années 1940, la Cour de cassation une « sous-jurisprudence remarquable d’anthropomorphisme » (p. 155) dans ses distinctions tenant au comportement anormal de la chose.

La loi de 1985 « si elle n’arrêta pas dans sa carrière la responsabilité générale du fait des choses, lui enleva tout de même son domaine le plus vaste et le plus populaire : les accidents de la circulation. »

La philosophie du dommage corporel

Si on savait autrefois réparer le dommage corporel, même la mort, on s’arrêtait à ce qu’il a de plus tangible (frais médicaux et chirurgicaux). « De la matérialité des dommages corporels, on a vu s’échapper des dommages moraux, immatériels » (p. 159). L’évolution s’est poursuivi jusqu’aux victimes par ricochet qui obtiendront réparation de leur pretium doloris (ce n’est pas étranger à l’idée de peine privée et de vengeance).

Les lois de bioéthique ont hissé en tête du Code civil le respect du corps humain et traduit en des « axiomes que nul, quant au fond, n’aurait auparavant songé à nier, mais qui n’auraient jamais été coulés dans un bronze quasi constitutionnel. » (p. 160).

III. – Le droit du travail

Autrefois, le travail avait une « valeur sacrée », les « vertus d’un stimulus. N’est-il pas significatif qu’en Angleterre le socialisme ait pris le nom de travaillisme ? ». Chez nous, le vocable aura à souffrir d’avoir été en tête de la devise du régime de Vichy.

Autour des années 1970, l’intérêt des sociologues s’est déplacé du travail lui-même à sa rémunération. Chômage déplaça encore le curseur vers la sécurité de l’emploi. La présence de celui-ci fini par réhabilité la paresse « et le loisir (même étymologie que l’oisiveté) » (p. 161).

Les originalités du droit du travail

« Le Code du travail, qui n’a pas été transformé en Code du temps libre, a conservé le sérieux. » (p. 162). « L’inspection du travail confère, par sa seule institution, une singularité au contrat de travail. ».

L’ordre public n’a pas ici besoin d’être traduit par un juge, il « s’incarne dans un personnage vivant » (l’inspecteur du travail). Cet ordre public « a choisi son camp une fois pour toutes […] » celui des salariés auxquels on interdit tout renoncement. « C’est un ordre public unilatéral, qui semblerait injecte si l’on ne pouvait soutenir qu’il rééquilibre une fatalité dans les rapports de force économiques. ».

Les acquis sociaux sont une théorie propre au droit du travail : « tout avantage acquis dans une loi ou une convention doit au minimum être réitéré dans les loi set les conventions postérieures. » (p. 163). « L’effet de cliquet anti-retour inhérent aux acquis sociaux est passé à l’état de dogme. C’est un môle de considérable de résistance au changement du droit. » (p. 164).

L’expression partenaires sociaux « évoque l’association et non le combat » (p. 165). Le « pacifisme inavoué » qui a donné le ton en la matière est avant tout dû à la conscience qu’on les partenaires sociaux de leurs faiblesses. « Et d’abord de leur très médiocre représentativité. ».

Les conventions collectives (apparu en 1919) ont rencontré la Ve lors des accords de Grenelle. Après une période qui avait « tant contesté l’État et son droit, elles étaient tout heureuses de s’affirmer décorsetées comme sources d’un droit non étatique. » (p. 168). Une seconde rencontre fut opérée par les lois Auroux.

L’entreprise comme môle de résistance

La notion d’entreprise « pouvait donner à réfléchir : le régime de Vichy ne l’avait pas inventée, mais il avait misé sur elle. En face, la société anonyme, prise comme prototype de l’économie libérale-séparatiste. » (p. 169). Là où la société anonyme est individualiste, l’entreprise est « collectiviste en esprit, où tout sous la direction d’un chef, allaient coopérer harmonieusement pour le bien commun. ». Bien avant Hitler l’Allemagne opposait la société classique de droit romain et «  la bonne vieille communauté du droit germanique ». En France, « François Perroux, économiste prestigieux, s’en fit l’apôtre, préconisant contre l’égoïsme des moi multiples, les « nous d’amour ». » (p. 169–170). « Au lieu de la communauté, nous eûmes la participation. ». Participation aux résultats (sans véritable consécration) et participation à la direction (via les CE, « sans que jamais on se soit orienté franchement vers une cogestion à l’allemande qu’aurait caractérisé la présence obligatoire de représentants du personnel dans les conseils d’administration. »). Maintenant se profile le partage du temps de travail…

IV. – Le droit des contrats

« Des passions contraires s’y combattent : la confiance conviviale entraîne la confiance, le pessimisme ancestral y flaire des pièges. » (p. 172). Le contrat est « un moment de sociabilité et de calcul. Il est fortement lié à l’économie, à l’inégalité des rapports sociaux. » (p. 173).

« Les sociologues font volontiers l’hypothèse qu’il n’est pas de société qui puisse s’en passer. ». « Contracter est un jeu et un plaisir : même un régime autoritaire n’est pas assez insensé pour priver les populations de cet exutoire à leur morosité. ». « Dans le « tope-là ! » des paysans sur le champ de foire, il y a une référence affective à la coutume, qui est la règle de droit ».

Les contrats d’adhésion sont des contrats rédigés unilatéralement par des entreprises. « Évoquant le style des contrats anglais » (p. 174) (« la Common law étant faite de coutumes, quand elle se résigne à écrire, il lui faut tout préciser, faute de quoi les juges s’en tiendront à la lettre du texte »), les juristes d’entreprises français « se sont laissé envahir par la mentalité du […] législateur moderne ».

La réforme du droit des contrats

« L’autonomie de la volonté, principe [du régime libéral], est une autonomie de l’imagination. » (p. 176).

L’entrée du libéralisme

Le principe de la liberté des conventions n’a « jamais exclu la souveraineté de la loi, de la loi d’ordre public » (p. 177). « Entendez qu’en l’absence d’une loi d’une telle nature, c’est la liberté qui fait loi. ».

Le dirigisme fut poussé à son paroxysme dans l’après-guerre lors d’une « vague de nationalisation effrontément spoliatrice, auxquelles le Général avait présidé en personne » (p. 178). La IVe vota sa loi phare sur les loyers incarnation de « l’anti-liberté contractuelle ».

« Le libéralisme économique ne s’est affiché vraiment qu’à partir de 1977, sous Giscard et Barre. ». « La libéralisation n’a guère mordu sur le contrat de travail (est-ce bien un contrat, au fond, ou un statut ?) » (p. 179). De manière générale, « l’interventionnisme n’a jamais abdiqué ».

En définitive, « une loi nouvelle qui serait inconstitutionnelle au regard du libéralisme d’aujourd’hui peut être déclarée constitutionnelle par référence au socialisme d’autrefois. » (p. 180).

Le droit protecteur

Le Code civil offre bien des protections (actions en nullité), mais dans les années 60, le mouvement consumériste voulut une protection collective et non pas individuelle, préventive et non plus curative. Le mouvement fut couronné en 1993 par le Code de la consommation reprenant principalement les lois Scrivener de 1978. Ce droit est intéressant aussi pour « les changements qu’il a introduits dans la vision classique du contrat. » (p. 182).

Les obligations d’information ont fait l’objet de critiques : « il est inévitable que le professionnel répercute ce coût sur le prix du produit » et « l’information trop pleine a un effet de saturation ». Ce droit « infantilise ». « Le risque, pour la société, est que les adultes prennent l’habitude de son comporter en enfants. » (p. 183).

La faculté de repentir est, elle, « une protection très raisonnable. ». Certains déplorent cependant que le contrat ne procède plus ici que d’une « volonté flasque et qui traîne ».

Le droit de la consommation, qui ne parle pas de lésion, dispose d’un arsenal à l’encontre des clauses abusives. La commission des clauses abusives tient à la fois « d’un tribunal paritaire et d’un comité d’éthique » (p. 184). On peut gager qu’il s’en dégagera « une morale de la discussion à la façon d’Habermass. »

V. – Le monétaire

Bonaparte fonda, en parallèle d’un nouvel ordre politique, un nouvel ordre monétaire[3] (loi du 17 Germinal an XI) avec pour unité le franc.

Au début du siècle, le franc « ne cessant de se dégrader, il [n’est] jamais arrivé, à ce degré zéro qu’est la dépréciation d’anéantissement » (tel le mark en 1920–1923) (p. 186).

Le franc de Gaule

« La monnaie est […] une propagande insinuante qui ne coute rien. ».

Créanciers et débiteurs sous la Ve République

Contre le « principe qui veut que la dépréciation monétaire soit au risque du créancier », les créanciers stipulèrent des clauses d’indexation. « En parallèle avec le lancement du nouveau franc, une ordonnance vint prononcer une condamnation de principe des indexations » sauf exception (p. 189). « Les indices étant la projection de statistiques, et la statistique un mécanisme d’État, l’État a pu être soupçonné d’avoir à l’occasion fait pression ».

Le traité de Maastricht de 1993 semble vouer le franc à son « engloutissement prochain » (p. 191).

En chèque ou en liquide

« La part du billet de banque [n’a cessée] de se réduire. » (p. 193). Les pouvoirs publics y ont contribué en rendant obligatoire l’emploi de chèques pour certains types importants de paiement. « C’est un héritage de Vichy et de l’occupation allemande : […] les Finances ont du mal à se déprendre des commodités d’un régime de police économique. ».

Le pullulement des chèques sans provision a conduit à « privatiser la répression, laissant aux banques le soin et l’ennui d’infliger des pénalités, des amendes, des retraits de chéquiers, aux tireurs imprudents. » (p. 193–194).

Les billets de banque restent l’apanage des preneurs d’otages, de dealer ou du prix hors TVA. « En creusant davantage, du non-droit sur le droit, sanction peut-être du trop de droit. ».

Chapitre 2 : Le droit de la famille

La première vague législative

Elle se situe entre 1964 et 1975. Il s’agissait d’intégrer les vœux de la société (« les vœux sont mieux que des désirs » p. 197). « Comment les connaitre ? ». Il y avait bien « les lobbies, les procès avortés, les faits divers, les campagnes de presse, les éclats médiatiques ». « Mais déjà, en 1962, la sociologie y ajoutait sa méthode plus objective. ». La critique est entendue : « n’est-ce pas sauter indûment du fait au droit ? courir le risque d’ériger en norme des comportements déviants ? » (p. 197–198). La critique méconnait la méthode sociologique. « Jamais, en l’espèce, les sondages n’ont dicté la loi. ». [T]

Le droit comparé insistait sur le cas de la Suède, de l’Allemagne, des pays Anglo-saxons. « Mais les nations citées en modèles étaient protestantes, au moins culturellement : une pratique d’intériorisation de la norme pouvait y rendre plus plausible, moins périlleuse une législation qui renoncerait à régler la vie privée de l’individu. La France, de culture catholique imparfaitement laïcisée, pouvait, en contraste, être choquée si elle ne retrouvait pas dans ses lois les reflets de quelques magistères. ».

« Le protestantisme, qui n’a pas fait du mariage un sacrement, a diffusé une propension à relativiser le droit de la famille. » (p. 198–199). « En France, personne n’a eu la folie de faire des lois protestantes pour une société qui ne l’était pas. ».

Toujours est-il que le succès de la Révolution dans l’opinion publique « a condamné a priori et pour longtemps, jusqu’aujourd’hui, l’idée conservatrice. ».

La politique de la famille

« Une partie remuante de l’opinion réclamait des lois propres à redresser une natalité déclinante. » (p. 200). Le droit civil en 1938 rompu avec « le principe de l’égalité successorale, afin d’exorciser la tentation du « fils unique » ».

Mais « c’était ailleurs que la politique de la famille devait chercher un axe : entre les deux pôles de la conservation et de la novation, pour user de termes très généraux. » (p. 201). [T]

« Dans cette première vague législative, les lois, sans méconnaître les droits subjectifs […], ont attaché plus d’importance à la vie des institutions. » (p. 202).

La seconde vague législative

Elle s’est déployée sous le double Septennat. « C’est l’idéologie des droits de l’homme, portée au paroxysme de l’abstraction, et qui s’est de plus en plus éloignée de l’histoire pour devenir religion d’Etat. » (p. 203).

Ce fut d’abord des re-réformes, puis sous le ministère Balladur les lois bioéthique.

« Cette bioéthique n’est pas toujours très morale : son exaltation de la personne ne l’empêche pas de faire peu de cas de la personne de l’enfant, traité comme objet pour satisfaire au désir d’un couple. » (p. 204).

I. – Le mariage

Entre 1964 et 1975, seul le divorce fut réformé.

Le civisme du mariage civil

Certains pays voisins accordent des effets au mariage confessionnels. « Les uns parce qu’ils étaient catholiques, et accueillant au droit canonique, les autres parce qu’ils étaient protestants et tolérants au pluralisme. » (p. 206).

L’interdiction faite au ministère des Cultes de célébrer un mariage religieux avant la célébration en mairie a manqué « sauter » lors de la réforme du Code pénale en 1992.

Mariage et concubinage

Le concubinage est une contestation toute différente, non pas du mariage civil, mais du mariage tout court.

En 1950, seulement 3% des couples vivaient en concubinage. Cette situation était encore assimilée à une contradiction aux bonnes mœurs. Mai 68 a diffusé dans la France entière les mœurs du XVIe arrondissement.

L’individu moderne a tendance à privatiser ses relations intimes « à rejeter de la sphère de son intimité l’ombre de la société, de l’État et partant, du droit. » (p. 208) (ce qui ne s’oppose toutefois pas à accepter des prestations sociales…).

Des sous-marques du mariage

« Ethnologiquement, il n’est pas anormal qui coexistent deux types d’union sexuelle » (p. 210). Toutefois, ceux qui «  avaient adopté la cohabitation parce qu’ils ne voulaient pas du droit, ils ne voudront pas davantage du droit de la cohabitation. »

II. La femme mariée

« Dans le droit civil du Code Napoléon, l’inégalité dont la femme pouvait se plaindre n’était pas uen inégalité pour cause de sexe, mais pour cause de mariage. […] elle retrouvait l’égalité par le veuvage ou par le divorce. » (p. 212).

« L’infériorité de la femme mariée se traduisait » (p. 213) par 1° La puissance maritale (le mari doit protection, la femme obéissance) 2° L’incapacité de la femme mariée (la femme était au même rang qu’un mineur).

La libération par la guerre

En 1938 furent abolies la puissance maritale et l’incapacité de la femme mariée. La raison en était principalement « le danger de la guerre : il fallait qu’à la maison l’épouse fût capable de prendre la relève du guerrier absent. ». « Vichy consolida et amplifia la réforme ». « Ce féminisme de guerre fut légitimé, consolidé à la Libération ordonnance du 9 octobre 1945. » (p. 214).

Le mari restait seigneur et maitre de la communauté et « il avait le pouvoir d’administrer les propres de sa femme ». La loi du 13 juillet 1907 concernant les femmes exerçant une profession séparée est restée pour l’essentiel lettre morte.

Réforme et re-réforme

La reforme d’ensemble fut la loi du 13 juillet 1965. (Le régime dotal avait peu à peu disparu du Midi où il était pratiqué.) La communauté des meubles et acquêts était la règle, la réforme la transforma en communauté réduite aux acquêts. Les « réviseurs [de 1985] avaient été chargés de rendre hermaphrodites, au nom des Droits de l’homme, tous les articles du Code civil » (p. 216). La cogestion n’est toutefois pas de nature à créer une situation claire pour le tiers cocontractant.

La libération par les banques

La suppression de la responsabilité du banquier vis-à-vis du mari pour avoir traité indument avec la femme a été un puissant facteur d’émancipation (loi de 1965 d’où sont issus les articles 221 et 222 du Code civil qui disposent d’un présomption de pouvoir des époux).

III. – Le divorce

« Sous l’Ancien Régime, la matière avait été régie par le droit canonique. » (p. 219). Il s’agissait d’un sacrement, d’une union indissoluble.

La loi du 2 avril 2941 a été une loi modérément restrictive.

L’avant-projet

Les causses possibles du mouvement tiennent à 1° L’urbanisation (réprobation de la famille) 2° L’obsolescence des valeurs de l’Église.

« La responsabilité et la volonté seraient ainsi les grands ressorts principaux du divorce, comme sont en général les deux grands moteurs du droit. Seulement si un accord de volonté peut dissoudre un mariage, n’est-ce pas affirmer que le mariage n’est qu’un contrat ? » (p. 222–223).

Si le divorce était devenu « un épisode ordinaire, normal dans la carrière amoureuse de tout être humain » (p. 230) « il devrait être banal de s’assurer contre ce risque ». Ce qui n’est pas le cas.

IV. – L’enfant/adolescent

Au vue de la succession de textes consacrés à l’enfance, on peut « supposer un passion fiévreuse pour les problèmes de l’enfance. » (p. 231) L’intérêt de l’enfant devient un principe péremptoire.

« La féminisation croissante de la justice et de l’administration favorisait l’apparence d’une sorte de maternage d’État. » (p. 231).

Question d’âge

« A son événement, en 1974, le président Giscard d’Estaing fit passer » la majorité à 18 ans (p. 233).

« Le cautionnement est le prolongement de la puissance paternelle par d’autres moyens. » (p. 234). « L’enfant qui au-delà de la majorité, poursuit ses études doit en être défrayé par ses parents : il demeure en état de minorité financière. ».

« En vertu de textes que la loi de 1964 a insérés au Code civil, le mineur peut faire seul les actes – les actes juridiques, les contrats – que l’usage leur autorise. Ce renvoi à la coutume a été un assouplissement notable de l’incapacité ».

La loi du 8 janv. 1993 dispose que le mineur capable de discernement peut être entendu dans toutes les procédures le concernant.

L’autorité parentale

L’autorité parentale « est une autorité, moins qu’une puissance, une simple supériorité hiérarchique » (p. 236). « Les pouvoirs sont conditionnés par les devoirs : c’est un droit fonction, susceptible d’abus s’il est détourné de sa finalité, qui est la protection de l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. ».

Le nom de l’enfant

Il est assigné par l’effet de la filiation. La prépondérance masculine est conforme, en ce domaine, à la coutume du pays. Il existe une contradiction chez les féministes : « la femme qui exige de transmettre son nom à ses enfants, pousse en avant, sans y penser, le nom de son père. » (p. 239).

La femme mariée conserve de plain droit son nom de jeune fille, « elle a le droit à titre d’usage de porter le nom du mari. » (p. 241).

Les lois portant une certaine liberté en ce domaine ont été freinées par les administrations, elle « ont, d’ailleurs, la phobie de toutes les coutumes. »

V. – La filiation

Il y avait un signe très visible de l’infériorité des filiations hors mariage : l’inégalité successorale de l’enfant adultérin.

De la filiation légitime

« La clé de cette filiation est la présomption de paternité, dont l’automatisme, nous le savons, est l’essence même du mariage » (p. 245).

« La stérilité est plus cruellement dans une famille nucléaire que dans la famille étendue d’autrefois, réservoir de neveux et de cousins, qui pouvaient tenir lieu d’enfant.

D’où l’euphorie pour l’adoption ; d’où le succès de l’insémination artificielle avec donneur (IAD) » (p. 247).

En cas de PMA, le désaveu de paternité est interdit au mari qui a consenti à l‘IAD. Toutefois, le législateur de 1994 ne semble pas avoir vu que le consentement peut être entaché de nullité. De plus, le don de sperme est anonyme ce qui peut être décrit comme « en contradiction avec la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant, garantissant à l’enfant [le droit de connaitre ses origines] » (p. 248).

« Le danger apparaît lorsque l’État, les États prétendent forger des droits de rêve à partir du droit de rêver. ».

De la filiation naturelle

Si la filiation légitime se passe « d’être affirmée à chaque événement, c’est qu’elle l’a été d’avance, dans l’acte de mariage pour tous les enfants à venir. La philosophie est la même. » (p. 249).

À défaut de titre, il existe la possession d’état qui est « un ensemble de faits d’où l’on induit la situation de droit correspondante. ».

« L’accouchement sous X » entra dans le Code civil par la loi du 8 janv. 1993. Pour la recherche de paternité, la loi du 16 nov. 1912 ouvrit la voie à l’action de l’enfant (représenté par sa mère) dans seulement cinq cas prévus par la loi (enlèvement ou viol, séduction, dolosive, aveu non équivoque de paternité, concubinage notoire entretient et éducation de l’enfant en qualité de père).

La possibilité d’obtenir de subsides consistait parfois un palliatif. Il s’agit d’un risque à la charge de l’homme, risque non pas d’avoir des enfants, mais le risque de ne pas pouvoir offrir à la femme « le pallium, la garantie d’une présomption de paternité, c’est-à-dire du mariage. Il y avait du moralisme dans la loi de 1972. » (p. 253).

« Chez quelques-unes, une maternité sans père a pu répondre à un idéal de féminisme extrême (de parthénogenèse-illusion). » (p. 254).

VI. – L’héritage

« L’héritage est une partie du droit de la famille. ».

Un droit en deux esprits

« Notre Ancien Droit monarchiste était d’esprit communautaire, plus attentif à maintenir la cohésion de la communauté familiale qu’à faciliter les initiatives des individus composants. » (p. 255). Le droit d’ainesse et la liberté testamentaire traduisaient cet esprit.

« La Révolution mit fin à la perpétuité des communautés. » (p. 256). Politiquement, il s’agissait de miser sur la jeunesse et à long terme, espérer que la division des fortunes finirait par ramener la « société entière aux normes idéales de la petite propriété. ».

« A l’heure du Code civil, Bonaparte était encore un fils de la Révolution. Les rêves de noblesse et de majorat ne le hantèrent que par la suite. ». L’esprit d’égalité de la Révolution fut préservé dans le Code civil, tout en le modérant.

Frédéric Le Play dénonça les désastres causés par le Code civil (morcellement des propriétés, décadence de l’agriculture…). Lord Caslereagh lors du Congrès de Vienne[4] avait déjà déclaré : « Inutile de détruire la France, le Code civil s’en chargera ».

La prise de conscience fut plus entière lorsque l’on observa que « pour prévenir le dépeçage de leur patrimoine, les parents restreignaient leur descendance. » (P. 257). Le Front populaire avec le décret-loi du 17 juin 1938 substitua le plus possible l’égalité en valeur à l’égalité en nature. La loi du 3 juil. 1971 fait de l’égalité en valeur le principe.

« Les procès néanmoins sont fréquents, attestant que la mentalité de nombre d’héritiers est demeurée ancrée dans le Code civil » (p. 258).

La loi de partage égale menaçant les entreprises de liquidation au décès de l’entrepreneur  , menace aussi l’emploi, ce qui justifie que l’on adapte la règle au nom de l’intérêt général.

La loi du 4 juil. 1984 ouvre la voie à la révision des conditions et charges grevant les libéralités. « Elle donne la victoire aux vivants sur des volontés mortes. » (p. 259).

Statistiquement, « le conjoint qui survit, c’est la veuve. » (p. 260). Le Code Napoléon ne l’avait admise à succéder qu’en dernier, après les cousins au 12e degré. Sa protection se trouvait dans la demi-communauté qu’elle  recevait au décès. Ensuite, « par un effet mécanique, le refoulement des collatéraux projettera de plus en plus le conjoint en pleine lumière. » (p. 261).

La question des bâtards

« Sous l’Ancien Régime, ils n’hésitaient pas (et ne pouvaient pas laisser d’héritage). » (p. 261). C’est en 1972 où l’enfant naturel a été mis sur un pied d’égalité avec une réserve pour l’enfant adultérin.

Pour rattacher l’héritage aux droits de l’homme (ce qui n’est pas certain), il faut se placer du côté du de cujus. Mais sa liberté suppose une inégalité possible de traitement pour les enfants. Il faut alors supposer « a notre droit constitutionnel un pouvoir de police sur les familles, le pouvoir d’interdire toute discrimination à l’intérieur des familles. » (p. 264).

Le gouvernement de droite modéré en 1994 reprit la solution de la demi-part pour l’enfant adultérin, « car il n’est pas de modérés qui ne se sentent vaguement inquiets sur leur gauche, pour peu que soient invoqués devant eux les Droits de l’homme. » (p. 267).

« Le mariage de droit français est essentiellement monogamique. Il avait résisté aux contagions insidieuses de la période coloniale. Il lui faut maintenant résister à la pression, combien plus obsédante, de l’immigration musulmane. » (p. 268). Toutefois, la reconnaissance d’un enfant adultérin, en concurrence avec des enfants issus d’un mariage, n’est-ce pas reconnaitre une sorte de « polygamie recomposée » ?

Conclusion

« De tous les temps, les voyageurs ont vu des choses merveilleuses, et les ont racontées. Le droit comparé pousse à la passion du droit, donc à son inflation. « Il n’y a qu’à faire une loi », nous connaissons tous l’antienne, mais l’effet est plus sûr si l’on peut ajouter que cette loi existe déjà dans tel pays qui a la réputation d’être socialement en avance. » (p. 269).

L’inflation de droit est connue dans toute la civilisation capitaliste. Mais pour les autres pays, il n’y a pas de passion. « Le droit est, pour eux, une technique utilitaire, conditionnée par une fin précise : il y a une difficulté pratique à résoudre » (p. 270). Or, « la législation chez nous, est perçue moins comme la conséquence d’un besoin que comme une réponse à un appel ». Cela se ressent dans le style, là-bas la rédaction s’accommode de pesanteur, ici l’idéal serait le style gnomique. « La loi française, au départ, ne doute pas de son éternité. » (p. 271). La passion du droit française est avant tout due à l’esprit ENA encensant les normes et leur hiérarchie.

« Cette atmosphère insinuante de normativité trouble secrètement le cours paisible de la vie sociale. ». « L’expérience est aussi efficace que le droit pour guider les conduites. Mais enfin, les normes sont là, de tout leur poids. En substituant leurs automatismes à la spontanéité individuelle, elles inhibent l’intuition et peuvent rendre l’invention inutile. » (p. 271–272). « Le droit diffuse une sécurité qui endort l’action, à tout le moins la ralentie. ».

Comment expliquer qu’il fasse si bon vivre en France malgré la passion du droit qui y règne ? Les sujets passifs du droit devraient y être écrasés. C’est qu’il existe des antidotes !

·       Le premier antidote est l’ineffectivité. « C’est la fatalité de l’excès. Trop de droit tue le droit, on en a fait un adage (comme ailleurs on a dit « l’impôt tue l’impôt », sans voir que c’était le même phénomène, car l’impôt est porté par une loi). » (p. 272–274).

·       Le deuxième antidote est l’accoutumance, sur un mithridatisation. « Apprendre que la loi va changer, a changé, n’est plus source d’émotion. ».

·       « Enfin, il y a le rire. Mécaniquement, la répétition, le cumul ont un effet comique […]. Si le ridicule tue, l’exubérance juridique est menacée. ».


[1] « À compter de ce jour, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements cessent d’avoir force de loi générale ou particulière… »

[2] Pourquoi ne pas avoir retenu l’article 1er du Code de 1983 : « Les crimes et les délits sont des atteintes aux valeurs que la société tient pour essentielles…, les contraventions sont les atteintes à la discipline de la vie en société. »

[3] Après la crise des assignats.

[4] 1815